Critique : Un baiser, s'il vous plaît
Emmanuel Mouret signe un deuxième long-métrage tout en élégance et en pudeur.
A Nantes, Emilie rencontre un inconnu qui l'invite à dîner ; au moment où le jeune homme entreprend de l'embrasser, elle repousse ses avances et lui raconte pour se justifier les mésaventures qu'ont connues deux de ses amis à propos d'un baiser...
Emmanuel Mouret
Bien que la formule soit fort réductrice, dire d'Emmanuel Mouret qu'il est en passe de devenir le "Woody Allen français" n'est pas faire injure ni au premier ni au second. Le cinéaste new-yorkais fait en effet partie des références avouées du jeune réalisateur français, au même titre que Guitry et Rohmer ; et à l'heure où Allen rebute même ses plus grands admirateurs en abusant d'une logique qui fonctionnait à merveille pour Match Point comme pour Scoop et qui s'emballe pour le très décevant Cassandra's Dream, il est bon de voir que le meilleur de son oeuvre n'est pas oublié et qu'il constitue une source d'inspiration pour la nouvelle génération qu'incarne Emmanuel Mouret avec Un baiser s'il vous plaît.
Elégant marivaudage autour de cet obscur objet du désir qu'est l'embrassade, Mouret entrelace avec subtilité plusieurs niveaux de mises en abyme (on se rappellera longtemps de l'hilarant portrait au début du film où l'on voit un homme la tête dans la main) et suggère ainsi la difficulté des relations intimes entre hommes et femmes. Pour le plus grand plaisir du spectateur qui ne peut que jubiler devant les situations ridicules dans lesquelles les personnages s'engouffrent ; ridicules, parfois même grotesques. Nicolas et Judith, les deux amis d'Emilie, sont à la fois attachants et terriblement détestables, tant ils sont en proie à des tourments vains typiques d'un certain milieu social où l'on ne parle pas de l'argent, mais de ce que l'on ressent, aussi absurde que cela puisse être.
Car c'est bien dans un cadre bourgeois que Mouret fait évoluer ses personnages, une bourgeoisie où l'on pense mal et où l'on fait tout pour paraître bien ; en cela, il est évidemment proche de Woody Allen période Hannah et ses soeurs et September. Ce qui frappe dans la mise en scène de cet état d'esprit - et de corps -, ce sont les décors, aux couleurs fânées et au contenu minimaliste, comme si la rareté des objets était là pour intensifier la vacuité intérieure. A défaut de parvenir à donner du contenu au vide, Emmanuel Mouret réussit à faire un délicieux quelque chose avec du rien. Un film aussi drôle et remarquablement interprété par Mouret lui-même, irrésistible de maladresse en étrange transfuge de Buster Keaton et de Woody Allen, et par les trois comédiennes principales, la virginale Ledoyen en tête, formidable en prude bourgeoise pas si bien pensante qu’elle en a l’air, on en redemande, bien sûr !
Alexis Duval
Julie Gayet et Michael Cohen